L’interruption forcée en mars 2020 – pour cause de pandémie – de nos visites aux migrants résidant dans le centre lausannois d’aide d’urgence de Vennes a inspiré ces lignes à l’une d’entre nous.
Alors, ça, l’évangéliste Matthieu ne l’avait pas prévu ! Lorsqu’il écrit, « J’ai eu faim et m’avez donné à manger, j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité (…) » (Matthieu 25, 35-36).
Il ne pouvait pas prévoir la pandémie de Covid-19, qui allait renvoyer tout le monde à la maison. Comment fait-on pour nourrir, abreuver, ouvrir sa porte, et vêtir ou – plus modestement – « être avec », lorsque le mot d’ordre se répand et s’impose, en quelques jours, de ne plus sortir de chez soi, de limiter au maximum les contacts, et si possible de ne plus rencontrer personne, au risque d’attraper la maladie ou de la propager ?
Evidemment que si la main de Sant’Egidio, sensée protéger la biche poursuivie par les chasseurs, et venue se réfugier, terrorisée, dans les bras du saint, est contaminée par le virus, ça va pas l’faire !
Finie donc, momentanément, l’équipée au Centre de Vennes, dans le bâtiment de l’EVAM, pour aller serrer la main et embrasser des requérants d’asile à l’aide d’urgence, en mangeant des pistaches, des œufs et des bouts de fromage avec eux.
Fini d’écouter avec émerveillement le rire dilaté de Barrow, un Sierra-Léonais à l’aide d’urgence… depuis plus de 10 ans. Fini d’étreindre la toute petite Faride, maman kurde dont le sourire ouvre littéralement les portes du Royaume, malgré des maux de dos permanents, et des jumeaux épuisants, tout juste debout, qui courent dans tous les sens, et si possible des sens opposés ! Fini de se régaler du parler algérien âpre et autoritaire de Hannan, dont on comprend qu’elle est en train de remettre à l’ordre certains de ses concitoyens. Fini de demander à Elhame, jeune femme kosovare, comment elle va, elle si souvent accablée par des maux de tête lancinants, et mangée par la perspective de perdre ses 3 enfants, en cas de renvoi au pays, où les réclame leur père.
En attendant de les revoir, tous ces gens que nous connaissons un peu, parce que nous avons parlé avec eux, à Vennes, assis autour d’une longue table rectangulaire, dans le local gris éclairé d’un triste néon blafard, oser rappeler, dans une prière obstinée, à Celui qui nous habite, qu’Il a dit, une fois : « (…) Je t’ai appelé par ton nom, (…) tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime. » (Isaïe 43, 1b-4a)
Texte rédigé par Aline, bénévole de S. Egidio